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Autonomie

L’histoire étymologique du mot « autonomie » nous apprend qu’il provient du grec autonomos, « qui est régit par ses propres lois ». Il s’agit donc d’une condition déterminante à la construction singulière et unique d’une culture, d’un savoir-faire et d’un savoir-être dans les situations de son existence, de son travail… autrement dit d’une complémentarité entre l’acquis et l’expérience.
L’autonomie est consubstantielle à l’intensité sociale qui en procède, en dépend et en produit.
Elle se construit dans un rapport à …
un outil,
un référentiel, une injonction, une norme…
un relationnel,
un corpus de sens et de valeurs…
En ce sens l’autonomie n’est pas un isolement mais une volonté d’agir contextuellement en conscience, selon un ensemble de conditions raisonnées et argumentées.

Ce en quoi elle pose le challenge d’une dialectique affirmation/relation qui la distingue de la recherche d’une complète indépendance ; je suis, reste et m’affirme moi-même, vis à vis de la règle, des instances, de l’autre … avec lesquels j’interagis.

De même, elle participe à une résistance aux impératifs infondés et invasifs ; il me sied de rester maître de l’agencement de mes besoins, quand bien même suis-je incité-e à les adapter à des injonctions qui me sont superflues.

L’autonomie conduit également à ne pas dépendre – littéralement « être suspendu à » – mais à « être à soi-même, à son action et à son propre cheminement ; je me réalise dans ma progression et non à partir de l’évaluation exogène de ma qualité.

Du métier vers l’emploi

Ainsi, si cultiver son métier peut s’apparenter prosaïquement à la connaissance et la domestication d’un nombre toujours plus important d’outils et de process utiles à la réalisation d’un ouvrage, pouvoir décider de quel outil utiliser à quel moment témoigne d’une autonomie dans la conduite du travail.

De fait la construction industrielle prescrit, le plus souvent, la fourniture des composants à mettre en œuvre et les modalités de leur incorporation à l’ouvrage. Elle procède d’une obligation de moyens pour obtenir le résultat attendu tandis que la posture artisanale du travail autonome – relevant également d’une astreinte au résultat – est assortie d’une liberté de moyens pour emprunter le chemin qui y mènera.

Les outils et dispositifs qui enferment l’opérateur dans un usage contraint, dépourvu de marge de manœuvre, façonnent une main d’œuvre sans agentivité1, sans capacité d’investir ses tâches ni possibilité de marquer les produits de leur contribution
(voir Traces).

Le glissement contemporain du métier vers l’emploi signe le passage d’une société du travail reconnu comme structurant anthropologique à une organisation généralisée de captation de valeurs dans laquelle la ressource humaine participe, sans détour et à son corps défendant, au projet (politique) d’instauration d’une suprématie triomphante de l’économie de la marchandise.

Maintenir une puissance de décision dans le travail est une entreprise de conservation de la légitimité acquise par une maîtrise émancipatrice et inclusive (appartenir en conscience à un corps de métier) s’opposant à la soumission anxiogène à l’évitement du chômage (avoir un emploi).

L’autonomie relève alors d’un enjeu existentiel, d’une volonté d’exister dans la logique de production, d’être indispensable à celle-ci et reconnu-e pour ce faire.

Le travail affranchi comme décor spéculatif

La valorisation de l’émancipation par le travail opère dans la production artistique où l’artiste, figure du travailleur ou de la travailleuse sans tutelle, décide et régit, hors négociation ou subordination, les moyens et les buts de sa création : la valeur marchande de l’œuvre est pour partie constituée par la symbolique de cette liberté incorporée.
Peu d’étonnement alors à constater l’appétit vorace des nouveaux et nouvelles riches – industriel-le-s, trader, tech leaders…- pour l’art contemporain. Succédant aux castes dominantes historiques – clergé, noblesse, bourgeoisie – il-elle-s sacralisent l’artiste comme la figure de l’entreprenariat accomplie d’elle-même.
Ce pourvoir d’adoubement est conféré par la plus-value extraite du travail aliéné auquel ils et elles contribuent, au delà des modalités de la modernité ; la dimension spéculative, mal dissimulée derrière « l’amour de l’art« , découle directement de l’entreprise de captation permanente de valeurs incarnée par l’industrie et la financiarisation du monde.

Si de tous temps l’autonomie a représenté une résistance individuelle et collective à la fatalité érigée en évidence, dans l’ère de la post vérité et de l’algorithme elle tend à devenir une condition d’un avenir décent.

  1. Le terme d’agentivité est un néologisme issu de la traduction de la notion anglophone d’agency. Au sens large, l’agency désigne la capacité de l’être humain à agir de façon intentionnelle sur lui-même, sur les autres et sur son environnement. Source : https://shs.cairn.info/dictionnaire-des-concepts-de-la-professionnalisation–9782807340534-page-41?lang=fr ↩︎