Souvent raillé en tant que pratique amateur présumée peu sérieuse, aujourd’hui récupéré par un marketing volontiers sexiste au service d’un chiffre d’affaire colossal1, le bricolage canal historique représente encore un gisement majeur d’intensité sociale.
Car le bricoleur (ou la bricoleuse) est un travailleur autonome, rêveur d’un monde meilleur et forcené de la métis.
Son travail est volontaire, aliéné à son seul désir de faire en souveraineté.
Sa production échappe à la sphère marchande : il n’agit pas pour gagner plus mais pour se réaliser dans un exercice libre.
Sa pulsion d’accumulation n’est pas thésaurisante mais l’anticipation d’un usage à venir ; bien avant l’invention institutionnelle du circuit court et l’impératif officiel du réemploi, il a repéré, récupéré, stocké, classé sa cueillette pour en extraire, au moment opportun, la petite pièce qui va bien, le boulon qui fait la maille, le composant détourné qui assure à son agencement une allure unique.
Alors que s’intensifie l’assignation malthusianiste à recycler la surabondance industrielle, le bricoleur jardine allègrement sa propre épiphanie quotidienne, tant la manière d’achever l’objet désiré compte autant que le résultat obtenu.
À l’efficacité de la maîtrise technique, la rationalité de la démarche et l’économie de moyens s’ajoute l’esthétique du geste ; son entreprise est empreinte d’une poésie qui transforme le travail en épopée, contestant pragmatiquement l’étymologique dominante de celui-ci, plutôt trabajar/transition vers un but que tripalium/instrument de torture.
En réalité le bricoleur ne travaille pas, il crée ; il ne fabrique pas, il assemble, il combine ; il ne produit pas, il transforme un problème en solution jubilatoire.
Aux catégories élaborées dans les années 60 par David Pye, théoricien anglais du design et de l’artisanant – l’artisanant du risque et l’artisanat du certain – le bricoleur ajoute en toute modestie un artisanat de l’aventure qui apporte au quotidien matière à résister au désenchantement du monde.
On ne peut manquer d’évoquer pour mémoire la pratique de la perruque (ou travail en perruque). Voisine du bricolage dans les buts de fabrication poursuivis, elle opére sur les lieux mêmes de l’entreprise où l’ouvrier/oeuvrier détourne pour son propre projet les moyens de production en matériaux, outils, temps et énergie.
- CA secteur Bricolage France 2022 = 34 Milliards € (source Fédération des Magasins de Bricolage) : pour mémoire, le CA du BTP France 2022 = 166 Milliard € (source Fédération Française du Bâtiment) ↩︎