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Solutionisme

Prétention ordinaire de l’expert1 consistant à proposer des solutions avant d’épuiser la question ; le solutionisme aborde toute situation avec un arsenal de propositions élaborées en amont de la rencontre du problème dans son milieu.
Son crédo : quelques soient les catégories et champs de problèmes, c’est par la technologie que l’on sortira des impasses, y compris celles générées par la technologie.
Son corpus : tout ce que la technicité – surtout innovante et ecofriendly – propose comme dispositifs propre à améliorer
Sa méthode : l’affirmation sans nuance d’argumentaires préformatés, la déclamation conquérante de chiffres flatteurs, l’énonciation péremptoire de bénéfices induits.

Quelques solutionismes remarquables :

  • le prêt à l’emploi, lignes de produits de laboratoire à hydrater, omniprésentes sur les chantiers comme dans les cuisines, recettes magiques qui dispensent de penser et font gagner le temps … de travail nécessaire pour admettre de payer deux fois plus cher qu’un résultat fait maison ou dans la gamatte,
  • la novlangue qui abonde en éléments de langage, certains pour désigner et réinvestir des pratiques vernaculaires. À l’exemple des matériaux bio sourcés, intronisés par la nouvelle doxa environnementaliste et qui règlent leur compte aux matériaux premiers, matériaux de cueillette et autres pratiques éprouvées par des générations de bâtisseurs. Le changement de nom ouvre la porte à une mutation des filières considérées et leur prise en main par les logiques industrielles
  • le jancovicisme, écologisme pro-nucléaire décomplexé, tenant de la formule définitive à même de clore toute dispute aussi multi argumentée soit-elle : « fais le calcul, tu verras ! »
  • la formidable Solution Technique Universelle, véritable entreprise d’abandon des acquis constructifs qui entend « imposer à tous les logements, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, exactement les mêmes règles de rénovation » au motif que  » (s’évertuer) à concevoir avec une grande minutie des solutions destinées à chaque cas particulier, conduisant souvent à une mise en œuvre laborieuse, complexe, et par voie de conséquence pas toujours efficace ». On a vu argumentaire plus subtile.

Peu pourvu de doute, le solutionisme diffuse à loisir son impératif de technicisation du rapport au monde, évacuant la part séculaire de poïétique2 inhérente aux entreprises humaines connectées à leur environnement : penser le faire à partir des potentialités inscrites dans un contexte donné avant d’en confier la résolution à une tierce instrumentation.
A partir d’une obstination à penser marteau au point de transformer le monde en un vaste champ de clous, cette obédience érode les ressources d’attentivité, d’affordance et d’itinération3 qui participent à l’élaboration des cultures (constructives et autres) et à leur diversité formant la mosaïque des sociétés humaines.

Peu de surprise alors à constater la faible convivialité de ces propositions dont le ratio service/dépendance est peu favorable au commun mais économiquement profitable à leur producteurs par soustraction de la valeur ajoutée sur le lieu de mise en œuvre ou d’utilisation. L’exemple du second œuvre dans le bâtiment est patent, là où les composants secs prêts à visser, agrafer, clipser … remplacent les formulations humides élaborées par les connaissances des artisans, transformant ceux-ci en simples poseurs.

Ainsi, la part d’intensité sociale incorporée dans toute solution élaborée hors-sol et prescrivant sa posologie à l’usager est négligeable et inversement proportionnelle à sa capacité d’érosion des savoir-faire, savoir-penser et savoir-être qui constituent le socle de compétences de toute culture et les possibilités d’un partage soutenable de la valeur.

  1. Expert : personne qui t’emprunte ta montre puis se fait payer pour te donner l’heure ↩︎
  2. Initié par Paul Valéry, la poïétique concerne l’ensemble des conditions de production d’une œuvre et plus largement d’un artefact en tant que démarche créatrice, considérant comment le processus engagé articule l’intention, le faire, la finalité, l’achèvement … ↩︎
  3. Entre source philosophique (Gilles Deleuze) et anthroplogie de l’environnement (Tim Inglod), démarche de résolution par boucles d’approximations successives et territorialisées ↩︎