Sélectionner une page

> cette réflexion en rebond à la note d’Olivier Krumm  » Itinéraire d’un Helvète au pays rassurant de la loi Spinetta » présentée à Crest le 22 septembre 2022 lors d’une session du groupe Issanlas.

Alors qu’au regard du désastre écologique en œuvre écoconstruire devrait devenir le commun de l’acte de bâtir, la filière du BéTéPé s’attache à promouvoir un verdissement généralisé dans lequel rivalisent labels, démarches, chartes, discours, déclarations péremptoires … une olympiade continue de l’éco-responsabilité.
Cette polyphonie d’éléments de langage plus ou moins finauds contient un enjeu majeur : il s’agit de dire l’écoconstruction, celle-ci considérée moins comme un enjeu majeur de société qu’une formidable opportunité de marché.
Dans la guerre moderne sur-instrumentée, celui qui est vu a perdu ; dans la guerre économico- sémantique contemporaine, celui qui dit gagne.
La force d’énonciation (dite aussi propagande) d’une parole dominante l’emporte, quelque soit sa pertinence et sa justesse, sur tous raisonnements contradictoires, questionnements légitimes et critiques documentées pour clore tout débat, si besoin en activant le 49.3 rhétorique du complotisme.
Lorsque l’état dit la voiture électrique, elle s’impose comme la solution écologique de mobilité, au mépris d’une somme d’arguments opposables étayés.
La profération péremptoire supplante la démonstration instruite, le dépassement de la controverse est acté, le faire-savoir vaut pour savoir-faire. Le discours d’appareil, performatif et redondant, assène, prescrit et oblige. Il en va de la frénésie réformiste néolibérale comme de la promotion des matériaux biosourcés.

Au cours du monde pré-industriel, construire c’est de-fait éco-construire ; éco-construire est un habitus technique et social, le fond culturel des sociétés humaines édificatrices :
– architecture de cueillette et de réemploi ,
– valorisation des matériaux premiers (pierres, bois, terre),
– faible déplacement des matières,
– faible transformation des composants,
– forte composante en main d’œuvre et consécutivement développement et renforcement du savoir-faire vers le métier,
– forte territorialisation .
Excepté quelques chantiers d’envergures la construction est l’affaire d’une communauté d’acteurs aux cultures constructives relativement homogènes.
La problématique de l’énonciation est à peine posée tant converge la chaine ressources/savoir- faire/opérateurs…
Le vernaculaire est une démarche scientifique sans scientifique, qui procède par accumulation d’expériences et de récits, transmis et appropriés même si peu théorisés.
Participant à la chronique, des lieux, ces pratiques contribuent à la diversité du monde ainsi qu’à une écologie intuitive.

La séquence de l’industrialisation et la contre culture constructive
L’industrialisation de la construction rompt la logique vernaculaire en recomposant l’ensemble de la filière – des modes d’extraction des ressources à la qualification des opérateurs en passant par les mutations technologies et énergétiques des process – nécessaire à l’imposition d’une chaîne de valeurs hors chantier.
Fondée sur une rationalisation des composants cette démarche s’inscrit dans la proclamation de la vérité moderne en adoptant et en renforçant ses fondamentaux : hygiènisme, fonctionalisme, négation du contexte, modélisation hors sol ….
Dans ce contexte, une éco-construction pionnière s’exprime dans les années 70′ en alternative fondée sur une relecture actualisée des valeurs et des postures vernaculaires ; éco-construire est une militance critique du progrès triomphant, une tentative d’invention par le faire d’une « modernité soutenable » aux épices anarchistes, une enthousiaste utopie concrète :
– bioclimatisme, énergétique passive,
– auto construction, coopération,
– éloge des savoir-faire appropriables,
– résistance à la spéculation et à l’unification des expressions territoriales,
– reprise en main des réponses aux besoins fondamentaux, s’abriter, se nourrir …
– démarche d’autonomie globale.

L’ère contemporaine du tout transition affirme simultanément l’esquisse d’une prise de conscience de l’impasse industrialiste et une frénésie pour en changer l’apparence sans en modifier la structure. La magie des datas opère des miracles telle la transmutation du béton en matériau écologique ou le reboisement de compensation carbone en forêts.
L’entreprise biosourciste introduit, sous couvert de légitimation scientifique, une batterie d’instrumentation/évaluation/validation pour que des filières constructives préexistantes à la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb puissent voir leur modeste aventure devenir secteurs éco-industriels pourvoyeurs de points de croissance.
Dans un élan moderniste retrouvé, l’écologie est promue innovante, artificiellement intelligente et restauratrice du PIB en berne.
Devenu un impératif écoconstruire se décline en pratiques soumises à la doxa de l’éco-responsabilité officielle et adoptant ses mantras solutionistes :
– promotion des circuit court et de l’économie circulaire,
– réemploi de produits industriels,
– démarche low carbone,
– techo innovations,
– smart solutions…

Dans cette mouvance « éco-tech« , l’écoconstruction adhère à la vulgarisation institutionnelle des éco-alternatives dans lesquelles le prêt-à-penser et le prêt-à-l’emploi cohabitent en excellents termes ; le discernement critique pointant – entre autre – l’impasse de l’obsession compulsive de la lutte anti carbone et questionnant l’absence de prise en compte de l’intensité sociale s’impose comme passager clandestin d’une croisière s’amusant à écologiser entre un colloque sur le green building et un score d’empreinte carbone honorable obtenu sur nogestesclimat.fr.

Dire une autre écoconstruction, celle des acteurs holistiquement impliqués, est à la fois une résistance et une nécessité tant cet écologisme industriel menace l’acte de construire dans son utilité sociale, culturelle et anthropologique. Pour en dénoncer le piètre niveau performantiel de ses réalisations et la forfaiture à prétendre incarner un modèle innovant, en rupture, en prise avec les enjeux …

Dire que si l’écologie est la question des conditions d’existences (en étirant la définition d’Ernst Heackel, son inventeur en 1866*), construire et aménager les lieux où habite l’homme ne peuvent être extraits de cette exigence ontologique.
Revendiquer qu’une situation de crise généralisée présente l’opportunité fertile pour engager une transition sincère vers un autre horizon humain, pour autant que l’inventaire après faillite cosmologique** de la société en cours ait été actée.
Et surtout dire l’écoconstruction à partir d’une pratique éclairée, alerte et impliquée plutôt qu’emboitée au chausse-pied dans des grilles d’évaluation lacunaires œuvrant à une post-vérité écologique permanente.

* en croisant notamment le propos scientifique inaugural de Haeckel « nous désignons sous le terme écologie toute la science des relations de l’organisme avec le monde extérieur environnant, ce qui recouvre, au sens large, toutes les conditions d’existence » avec l’éclairage des penseurs contemporains de l’écologie des existants.

** les niveaux de transitions couramment promus sont le correctif en tant que gestes et postures prétendant sauver la planète et l’épistémologique pour réformer paradigme et logiciel obsolètes ; dans une culture de l’indiscernement enraciné (écologie = protection environnementale, transition écologique = réduction carbone, mutation des modes de production = croissance verte …) leur efficacité ne saura produire rien de mieux que le green washing simpliste et consensuel auquel on assiste depuis un demi-siècle (le rapport Meadows sur les limites de la croissance date de 1972). Inclure la dimension cosmologique dans la pensée écologique engage une remise en question de la représentation centrale et hégémonique de l’homme moderne, un autre agencement du monde en dépend.