En effet, pas plus que la théorie des cordes ne répond aux besoins fondamentaux du quotidien, la figuration narrative ne prédispose à la réussite d’une mayonnaise ; l’expérience du chat de Schrödinger n’aide pas à toucher un quinté plus dans l’ordre tandis que la maîtrise du dropping présente peu d’utilité pour trouver un logement correct à un prix abordable en secteur tendu…
Et pourtant recherche et art se rejoignent en ce qu’ils sont indispensables à faire humanité, parce qu’ils répondent à une pulsion qui caractérise l’homme et l’oblige : le besoin de transcender ses limites, la nécessité de produire du sens, l’exigence d’être à la hauteur de ce qui lui arrive. Admettre les choses telles qu’elles se présentent – ou sont présentées, les recevoir sans questionnement critique revient à subir son destin et s’exclure de la fabrication d’une cosmologie émancipatrice.
Chercher à voir au-delà de l’évidence, comprendre les subtilités de la matière et du vivant c’est abonder à un récit commun en tant que art et recherche se diffusent, se partagent et s’absorbent dans la geste collective d’un être-au-monde discernant.
Idéalement, chercheurs et artistes agissent dans un cadre épatant, celui du travail libre ; leur travail, déconnecté de l’efficacité productive ambiante, procède moins de la torture (cf. tripalium, étymologie officielle du mot travail) que du voyage (cf. trabajar, hypothèse étymologie alternative), de l’exploration, de l’aventure de vie.
Dans un idéal seulement car la marchandisation invasive a fini par gagner et pervertir ces deux domaines, leur administrant les règles d’évaluation communes à l’ensemble des artefacts humains, tant concrets qu’immatériels : n’est utile que ce qui rapporte, ne vaut que le profitable à court terme, n’est adulé que le performant, n’a d’avenir que le quantifiable.
Déjà celles et ceux en charge d’éclairer et d’enchanter le monde sont pour beaucoup devenus les bouffons d’une industrie du spectacle qui, après avoir transformé la culture en divertissement, s’emploie à faire de celui-ci une entreprise spéculative au service de puissants incultes, demeurés au stade anal de l’accumulation frénétique de richesses, pâmés devant une boursouflure chromée de Jeff Koons sur laquelle il espère à terme faire la culbute.
Aussi celles et ceux qui traversent les nappes de connaissances, naviguent dans les bordures avancées des savoirs, explorent des fertilités prospectives au service de l’intérêt général se voient désormais les servant/e/s de financeurs privés qui commandent un programme de recherche comme d’aucun un menu Deliveroo.
Tandis que les chercheurs se réjouissent lorsqu’ils trouvent … des subventions pour poursuivre leur travail, les écoles d’art forment des artistes profilés aux attentes du marché. Si ces asservissements soumettent les acteurs, leurs dommages sociaux sont délétères.
En manière de résistance séditieuse Robert Filliou a donné une clef incandescente transposable au-delà se son objet premier : « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».
Dans une confluence des insoumissions, prenons position pour une recherche fondamentale célibataire, désaccouplées de l’impératif d’une production ordonnée et pour son classement comme « activités d’utilité citoyenne ».