Un projet architectural est-il au sommet de son aboutissement à la fin de la phase de conception ? Les plans au cinquantième, les carnets de détails, les descriptifs, les plans de calepinage des faux plafonds sont-ils l’aboutissement ultime d’une architecture ?
À en croire l’acharnement que déploient certain-e-s architectes à ce que leurs plans, leur volonté, que dis-je leur vision, soient respectés dans le moindre détail, il ne peut en être autrement !
Quelle réaction avoir alors, lorsqu’un vendredi matin, je découvre en arrivant sur le chantier d’une petite maison individuelle, une pile en brique bâtie en tête du petit soutènement refermant la future terrasse ? À l’évidence cette pile n’était pas sur les plans ! De fait, elle devrait disparaître !
Je décide tout de même de faire quelques pas de recul, profitant du soleil, pour juger cette initiative du maçon, avant de rendre un verdict.
Il ne me fallut pas bien longtemps pour me rendre à l’évidence, il avait raison. Cette pile de brique avait toute sa place au seuil de la terrasse et répondait parfaitement à sa jumelle, bien prévue celle- ci, en reprise du mur de clôture en pisé que nous avions ouvert partiellement pour installer la maison. L’échange qui allait suivre avec le maçon porterait sur les raisons de cette initiative et les conditions de chantier qui permettent ou non ces « écarts » aux plans : bref, l’ouvrage était sauf !
Et cerise sur le gâteau, comme pour glorifier cet ouvrage spontané, épargné de la colère vengeresse du concepteur bafoué, nous avons acté le couronnement de ces piles par de ravissantes couvertines en prompt dressées au calibre. Il n’était plus question de poser de simples préfabriqués fournis par le marchand de matériaux.
Entre anti autoritarisme, ruse, et refus du conflit, j’ai pris le parti de transformer ce qui pourrait relever d’une forme de flemme à tout maîtriser, en une tentative d’enrichissement collectif du bâtiment en cours de construction.
Si la relocalisation de l’architecture passe, entre autre, par le choix des matériaux qui la composent et une lecture attentive du contexte physique, pour ainsi créer une architecture située, cette architecture peut également être enrichie par la prise en compte et la valorisation des spécificités apportées par les artisan-e-s qui vont la mettre en œuvre.
Accepter, accueillir et encourager l’appropriation du projet par les artisan-e-s, c’est situer l’architecture dans son contexte temporel et social.
Mon objectif est de mettre en place les conditions permettant à l’artisan-e de sortir du rôle d’exécutant qu’on lui assigne trop souvent, et dans lequel certain-e-s se réfugient, pour définir ensemble l’ouvrage à réaliser.
À partir de là, tout écart au plan n’est plus forcément une malfaçon ! La non-conformité d’un ouvrage n’est plus définie vis à vis d’une tolérance entre sa réalisation et la soit-disant exactitude dessinée ou décrite mais vis à vis de sa non adéquation à un usage, à l’harmonie des espaces ou à la poésie de l’ensemble, préalablement définis.
Lâchons prise ! Acceptons de voir où le travail collectif emmènera notre conception. Parions que chaque nouveau chantier transportera nos réflexions techniques, esthétiques et sociales au-delà de ce que nous espérions.
Faisons en sorte que la période chantier soit un véritable cheminement et non un simple trajet entre consultation des entreprises et réception des ouvrages.
L’amplitude de l’évolution entre le projet conçu et l’ouvrage final pourrait devenir le témoin de la richesse du parcours de réalisation. De l’apport qu’a été l’échange avec les artisans, à pied d’œuvre.