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Manifeste pour une recherche autonome en écologie de la construction

Fortement (et résolument) inspirée par la culture vernaculaire, l’écoconstruction apporte une alternative réjouissante à l’incantation industrialiste.

Une dynamique enthousiaste et politiquement engagée a su ériger un corpus de solutions, à faible émission carbone, haute intensité sociale et faible spéculation, bâti en dehors de toute action concertée, par des professionnel.e.s et des autoconstructeur.e.s cherchant à articuler leurs idées et leurs actes à partir d’une prise de conscience des enjeux écologiques de la construction.

Cette recherche expérimentale, ingénieuse autant qu’intuitive, sensible et responsable, a posé les bases d’une culture constructive dont la pertinence n’a cessé de croître au fil des dérèglements environnementaux, sociaux et économiques aujourd’hui avérés.

Intégrée aujourd’hui malgré elle à la transition écologique officielle, l’éco construction se voit sommée de devenir un secteur planifié, encadré par les instances, quadrillé par des documents référentiels et validée par la recherche universitaire.
Il s’agit de faire d’une petite entreprise autonome un appareil de production grande échelle, pilier majeure de la croissance verte.

Devant ce rapt caractérisé, il importe de rappeler les enjeux qui nous motivent.

Nous tenons l’écologie comme « la science des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d’existence », selon les termes de son inventeur Ernst Haeckel en 1866.

S’il est une science des modalités d’être au monde, nous prônons que celle-ci soit fondée sur l’expérience, la confrontation au réel et le vécu des situations.

Si l’étude de l’existence est une discipline outillée et appareillée, nous affirmons que sa pertinence ne s’inscrit que dans sa capacité à rendre compte du qualitatif, du ressenti autant que du quantifiable. Une écologie de la mesure objective n’offre d’avenir qu’à la condition de mettre en débat le choix des outils et des protocoles qu’elle mobilise.

Si l’écologie d’état écarte scientifiquement de son champ l’art de vivre propre à la culture de chaque société humaine – qui se décline notamment dans les métiers, les modes d’échanges et de production, les relations aux autres, aux existants et plus largement dans la cosmologie – elle est alors une imposture et doit être contestée comme telle.

La recherche en écoconstruction, matériaux et savoir faire participe à l’expropriation des cultures constructives vernaculaires au profit des grandes firmes du BTP, oubliant sa mission initiale d’intérêt public de production de connaissances utiles au plus grand nombre ; sa légitimité doit résider autant dans son expertise que dans sa capacité de résistance au diktat de ses mandants et à la marchandisation dont elle fait l’objet.

Nous ne pouvons pas faire confiance à ceux qui pour nous amadouer, prétendent lutter, sans pour autant jamais ne nous donner de nouvelles de ce front supposé.

Nous ne voulons pas user nos forces pour nous défendre, mais pour inventer !

Sur nos chantiers, dans le cycle de nos projets, dans notre vie citoyenne et nos pratiques techniques et poétiques, nous affirmons être en recherche d’une cohérence entre dire et faire, penser et agir, comprendre et entreprendre.

Nous revendiquons l’empirisme instruit de l’artisanat, son cheminement en quête d’intelligence active entre la main, la pensée et la matière, contre la déshumanisation généralisée des moyens de production génératrice d’objets désincarnés et vides de sens.

Nous refusons l’injonction à réduire la complexité du monde par le biais exclusif de dispositifs scientifiques théoriques qui disqualifient l’unicité de l’ouvrage pour ne considérer que sa reproductibilité.

De là :
– nous voulons récupérer ce que l’expropriation industrielle a détruit,
– nous voulons rester propriétaires de nos pratiques pour coopérer à la réappropriation de nos imaginaires.

Tout ce qui fait obstacle infondé à nos désirs ne nous appartient pas et nous sommes attentifs à nous commettre le moins possible avec les porteurs de logiques de prédation et réification.

Tant que la recherche ne redeviendra pas ce qui rend la vie plus intéressante que la recherche nous contesterons leur monopole aux chercheurs agréés. Car sur ce sujet, comme en toute chose dans une société intègre, « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Vincent Rigassi, Jean Luc Le Roux, Marcel Ruchon
pour le réseau Ecobatir – 28 novembre 2019