À l’écoute de la rhétorique des experts chargés de maintenir le mythe du progrès bienveillant, universel et permanent, l’innovation serait de l’ordre du salut, la digue protectrice d’une civilisation technologique menacée, l’occurrence d’un autre monde possible … le même, constamment innové !
Le désastre écologique en cours sera contenu par rien d’autre que les technologies de rupture, vecteurs de croissance, garantes du maintien du confort de vie, mantra du discours écofaisandé quotidien.
L’origine historique du mot instruit sur quelques externalités négatives : innovacion « transformation d’une ancienne obligation par substitution d’un nouveau débiteur à l’ancien » (1297)1.
Pratique initialement régie par le droit, l’innovation est devenue au fil du temps le remplacement d’un système, d’un dispositif, d’une situation par un/e autre, la reprise de l’obligation initiale étant de plus en plus facultative. Aujourd’hui souveraine, elle s’impose comme base du modèle économique et d’organisation des moyens de production.
Dans un cadre vertueux, l’opération procédant d’une sincère évaluation avérant la nécessité du remplacement peut être recevable, pour autant que le bénéfice de l’opération soit tangible, voire profite à l’intérêt général.
Sauf que franchise et transparence n’étant pas les fondements de l’industrie2, qui se nourrit plutôt d’opacité et de subterfuges3 , est-il incongru de percevoir des liens étroits entre obsolescence programmée et innovation ?
Quoi de mieux qu’une série de dysfonctionnements avant panne pour promouvoir l’achat du nouvel article doté de la dernière invention qui renvoie la précédente à une préhistoire technologique ?
Quoi de plus incitatif que la dépréciation socio-culturelle lorsqu’il s’agit de convaincre que posséder la dernière version d’un appareil pour rester dans la tendance porteuse justifie le remplacement d’une utilité encore fiable et performante ?
Quoi de plus moral que de modifier un produit à la marge en prétendant le doter d’une efficacité environnementale supérieure ?
La substitution de l’ancienne obligation s’apparente plus à « faire rouler la dette », la faible montée vertueuse en qualité de service étant compensée par un discours marketing péremptoire et décomplexé au service du modèle industriel classique : financer la cellule recherche et développement au sein de la maison mère par l’externalisation lointaine et à moindre coût de la production de séries dotées des vulnérabilités qui permettront de reproduire à l’infini ce cercle économique post colonialiste.
L’innovation s’affirme in fine comme paradoxe peu recommandable : consubstantiellement contrainte pour exister à déclasser incessamment et au plus vite ses dernières actualisations, elle n’a comme seule temporalité l’instant de son émergence.
Illégitime à toute durabilité ou soutenabilité, l’idéologie qui en découle est une forfaiture environnementale, économique, culturelle et sociale.
- source CNRLT https://www.cnrtl.fr/etymologie/innovation ↩︎
- du latin industria société secrète (voir kung fu sémantique) ↩︎
- eco blanchiment, dieselgate, eaux minérales polluées, shrinkflation, … ↩︎